Paris, 7 Novembre 2023. Pour sa première exposition personnelle en France à la galerie Dumonteil Contemporary, l'artiste multidisciplinaire Abed Al Kadiri (né en 1984 à Beyrouth et basé à Paris) nous invite à explorer une sélection très personnelle de son travail des cinq dernières années. Profondément autobiographique, ces œuvres établissent un lien intime entre deux villes : Beyrouth et Paris. Abed a emménagé à Paris en 2021, seulement quelques mois après la tragédie de l'explosion du port de Beyrouth. Ces créations nées d’une nécessité de traduire la violence et d’examiner des expériences traumatiques personnelles et collectives refoulées, explorent les notions de fragilité, de destruction, ainsi que la lien entre la nature, l'isolement et la perte. Parallèlement, elles plongent dans la destruction du patrimoine culturel, la migration et l’appartenance, tout en symbolisant une renaissance de l’obscurité de la pandémie et des conséquences de l’explosion.
Bien que les années qui ont suivi aient été oppressantes – que ce soit en raison de la douleur qui a suivi l’explosion, des conditions pendant le pic de la pandémie, ou en raison de la situation économique et politique actuelle au Liban, l’observateur attentif remarquera un motif de fondation et de désir . Presque inconsciemment, de nombreuses œuvres s’appuient sur l’image de l’arbre pour tisser une narration empreinte d’optimisme et de croissance. Comme les cernes de croissance au cœur d’un arbre, le travail d’Al Kadiri dévoile des histoires qui placent l’arbre en tant que témoin et narrateur d’une société en perpétuelle déliquescence .
Cette exposition s’inspire de la métaphore de l'arbre et la présente sous différents formes :
Dans L’histoire de l’hévéa, réalisé en 2016 et 2018, Al Kadiri examine les maisons abandonnées de Beyrouth « réhabitées » par des hévéas. Autrefois plantés pour fournir de l'ombre dans les jardins des maisons de ville, les hévéas sont devenus ingérable en l'absence de soins, sapant les fondations des maisons qu'ils occupent désormais. Ces oeuvres de grande échelle sont entièrement réalisées au crayon, un matériau pouvant être effacé, provenant lui-même de l'arbre. Sculptures et vidéos retracent non seulement les récits familiaux complexes et les souvenirs de guerre civile dont les arbres sont témoins, mais révèlent également leur capacité à apporter à la fois la vie et la ruine.
Si le monde est un endroit sombre, le Liban en est l’épicentre. C'est par cette phrase qu'Al Kadiri a présenté sa série Nyctophilie, en 2020. Carburant en baisse, générateurs silencieux, économie en chute libre, rue quasiment abandonnée comme lieu de révolte. Ces peintures réalisées en 2018 et 2019 ne sont ni une réaction littérale à la morosité ambiante, ni un élan d'introspection : elles nous demandent de nous confronter et de réfléchir. Poussé par l’insomnie, l’anxiété et la désorientation au cours de l’année de création des peintures, Al Kadiri cherche non seulement à explorer la couleur noire, mais aussi à se livrer à sa promesse transformatrice d’oubli. Une semaine après avoir présenté cette série dans une exposition intitulée Vestiges de la dernière rose rouge, la plus grande explosion non nucléaire jamais survenue, frappe Beyrouth à proximité de la galerie exposant ces œuvres, détruisant le lieu et enfermant les peintures sous les décombres. les fermant du monde jusqu'à ce qu'elles puissent être récupérés. Dans l'ombre, l'artiste recherche ce lieu de mélancolie et d'extase dans lequel son enfant intérieur trouve consolation et paix malgré l'obscurité qui l’entoure.
En guise de contestation à la destruction, Aujourd'hui, je voudrais être un arbre (2020) a été conçu. Il s’agit d’un acte constructif face à l’emprise étouffante de la situation économique et politique du Liban et aux séquelles de l’explosion de Beyrouth. Observant la douleur qui l’entourait, l’artiste avait une pensée récurrente : « Je veux être un arbre ». L’arbre est une alternative, voire un antidote. Il protège, bien qu'ébranlé par les ravages. Ses racines embrassent la terre d’où elle est issue, dans un échange réciproque de force vitale. Ce paysage a transfiguré les murs de la Galerie Tanit, ces murs mêmes effacés par l'explosion. La galerie, devenue un espace violent et ouvert, a accueilli la création de deux peintures murales peintes sur quatre-vingts panneaux. Un paysage d’arbres, serein et inébranlable, fait contrepoids aux chocs conquérants qui ont fait des ravages. L’arbre perdure et, en endurant, guérit. Ce projet a débuté en réponse directe à l'explosion du 4 août dans le but de collecter des fonds pour la reconstruction et la réhabilitation des maisons de Beyrouth.
Bois des Vincennes, réalisé entre 2021 et 2022, est la série de peintures la plus récente exposée ici. Ces œuvres sont nées des promenades de l’artiste à l’époque du confinement dans les parcs et forêts de Paris, tandis qu’Al Kadiri effectuait une résidence d’un an à la Cité internationale des arts de Paris. Explorant les bois avec tout ce qu'ils ont à offrir, de la gratitude à la paix intérieure, les peintures représentent la tentative de l'artiste de se purifier du traumatisme du passé récent.
Il convient que cette exposition se déroule à Paris, la ville où Abed Al Kadiri s'est exilé quatre mois après l'explosion, où, dans l'isolement forcé de la pandémie, il a tenté de guérir. Ces projets agissent comme une contre-déclaration, tout en respectant le deuil de ce qui a été perdu lors de la dévastation de ces dernières années. C’est la fin d’un processus de guérison, l’acceptation de la perte et de la mort et, plus important encore, une résurrection naturelle et une célébration de la renaissance.